Elles devaient révolutionner la finance mondiale, mettre fin à la mainmise des banques centrales et offrir à chacun la possibilité de devenir maître de sa richesse. Quinze ans après la création de Bitcoin, que reste-t-il de cette utopie ? Enquête du Mémento !
Un champ de ruines partiel, des scandales retentissants, des fortunes envolées… et un secteur toujours en quête de crédibilité. Enquête dans un univers fascinant, mais toujours aussi chaotique.
L’idée était belle. Supprimer les intermédiaires, fluidifier les paiements, redonner le pouvoir aux individus. Bitcoin, puis Ethereum, ont pavé la voie d’un écosystème en pleine explosion. Mais cette croissance fulgurante s’est vite accompagnée de dérives massives, entre projets sans fondements, spéculation excessive et vide juridique.
L’année 2022 a marqué un tournant. L’effondrement de FTX, l’une des plus grandes plateformes d’échange au monde, a révélé au grand public les failles abyssales du système. Valorisée à 32 milliards de dollars, elle s’est écroulée en une semaine, victime d’une gestion frauduleuse des fonds déposés par les utilisateurs, mêlés aux actifs d’Alameda Research, la société de trading de son fondateur. Résultat : des centaines de milliers d’investisseurs laissés sur le carreau et une confiance durablement ébranlée.
Avant FTX, la cryptomonnaie Terra (LUNA) avait déjà explosé en plein vol. Elle s’était bâtie sur un “stablecoin” algorithmique censé garantir une parité avec le dollar… sans garantie réelle. Lorsque le mécanisme s’est rompu, LUNA s’est effondrée de 99,9 % en quelques jours, emportant avec elle plus de 40 milliards de dollars de valorisation.
D’autres géants ont suivi : Voyager Digital, BlockFi, ou Celsius Network. Tous proposaient des produits financiers débridés : comptes épargne avec 15 à 20 % de rendement annuel, prêts en cryptos, services de staking sans transparence. À l’arrivée : faillites en série, procédures judiciaires, et une image du secteur durablement ternie.
À côté des effondrements industriels, une autre face du chaos crypto prospère : les arnaques. L’AMF et la Banque de France multiplient les alertes. Plateformes fictives, escroqueries aux faux investissements, hameçonnages via réseaux sociaux, jeux en ligne truqués… En 2024, plus de 700 sites frauduleux étaient recensés rien qu’en France.
Les escrocs innovent : deepfakes de personnalités célèbres vantant un projet crypto, influenceurs rémunérés pour promouvoir des tokens sans valeur, systèmes de “trading automatisé” qui promettent de multiplier votre mise… avant de disparaître. Résultat : des pertes estimées à plusieurs centaines de millions d’euros chaque année.
La régulation tente de suivre le rythme, mais reste en retard d’un cycle. Depuis 2024, seuls les PSAN (Prestataires de Services sur Actifs Numériques) enregistrés peuvent opérer légalement en France. Cette démarche, orchestrée par l’AMF, vise à filtrer les acteurs sérieux.
Mais elle n’a pas de portée extraterritoriale. De nombreuses plateformes basées à Dubaï, aux Seychelles ou aux Bahamas continuent de séduire les investisseurs français, sans aucun cadre légal ni filet de sécurité. Quant aux influenceurs et youtubeurs qui vantent ces projets, ils échappent encore largement à toute responsabilité.
Au-delà des escroqueries et des faillites, l’univers des cryptomonnaies souffre d’un problème fondamental : son instabilité. Les cryptos sont des actifs spéculatifs dont la valeur repose essentiellement sur la confiance… et sur l’effet boule de neige.
Certains tokens ont vu leur prix multiplié par 100 en quelques semaines, avant de s’effondrer de 99 % sans prévenir. Dans ce contexte, difficile de parler de “monnaie” au sens économique classique. Peu de commerçants les acceptent, les États s’en méfient, et la majorité des détenteurs ne les utilise pas comme moyen d’échange, mais comme outil de spéculation.
Derrière l’anarchie financière, une couche marketing tente pourtant de repeindre la façade. On parle de “Web3”, de “finance décentralisée”, de “métavers”, de “DAO” (organisations autonomes décentralisées)… autant de concepts parfois prometteurs, mais encore embryonnaires.
Les NFT, autre grande “révolution” annoncée, sont aujourd’hui en berne. Ces certificats de propriété numérique, utilisés pour vendre de l’art virtuel ou des objets dans des jeux vidéo, se sont effondrés de plus de 90 % en valeur en 2023. L’engouement spéculatif s’estompe, révélant un marché immature, sans modèle économique clair.
Dans l’histoire des technologies, rares sont les domaines qui ont suscité autant de fantasmes, d’investissements, de fraudes et d’aveuglement que les cryptomonnaies. Pourtant, la blockchain — la technologie sous-jacente — reste une innovation majeure, dont les usages concrets (dans la traçabilité, les paiements internationaux, les contrats intelligents…) continuent d’émerger.
Mais l’écosystème crypto, dans son état actuel, reste instable, mal régulé et miné par l’opacité. Il ressemble moins à une révolution monétaire qu’à une zone grise entre innovation et dérive spéculative.
Tant que ce marché ne sera pas assaini, transparent et encadré à l’échelle mondiale, il restera ce qu’il est aujourd’hui : un gigantesque chantier… ou un immense foutoir.
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