Depuis le 28 juin 2025, le code de la consommation impose aux grandes et moyennes entreprises de garantir l’accessibilité de leurs produits et services, notamment numériques, aux personnes en situation de handicap. Une obligation qui prend une importance particulière dans un contexte où la dématérialisation des services du quotidien s’accélère.
Estimant que plusieurs enseignes majeures de la grande distribution ne respectent pas cette obligation, les associations ApiDV et Droit Pluriel, soutenues par le collectif de juristes Intérêt à Agir, ont mis en demeure en juillet 2025 quatre groupes : Auchan, Carrefour, E. Leclerc et Picard Surgelés. Leurs sites internet et applications mobiles sont jugés particulièrement défaillants.
Face à l’absence de mesures correctrices, les associations ont décidé d’assigner en référé, en novembre 2025, ces quatre entreprises afin que la justice mette fin à ce qu’elles qualifient de discrimination envers les personnes en situation de handicap visuel. C’est la première fois en France que des acteurs de la grande distribution sont ainsi poursuivis pour non-conformité à leurs obligations d’accessibilité numérique.
Pour les associations, le constat est sans appel : l’inaccessibilité numérique constitue un obstacle majeur au quotidien des personnes malvoyantes et aveugles. « L’inaccessibilité des sites nous prive de la possibilité d’être autonome et nous rend dépendants d’un proche ou d’un vendeur », témoigne Pierre, utilisateur.
En France, 12 millions de personnes sont concernées par l’accessibilité numérique, dont 2 millions souffrant d’un handicap visuel. Or, selon l’Observatoire du respect des obligations d’accessibilité numérique, seuls 3,4 % des sites internet des grandes entreprises répondent aux standards requis en 2025.
Un comité de test composé d’experts en informatique en situation de handicap visuel a été mobilisé pour évaluer concrètement les plateformes des enseignes concernées. Résultat : impossibilité de naviguer au clavier, absence d’alternatives textuelles, contrastes insuffisants, liens non explicites, structuration défaillante… autant de barrières qui rendent l’usage de ces services impossible en autonomie.
Le site www.e.leclerc.fr illustre le décalage entre obligations légales et réalité technique. Sa déclaration d’accessibilité affichait en mai 2023 une conformité limitée à 32 % des critères du RGAA. Après un audit mené en août 2025, elle a été réévaluée à 50 %, un taux qui reste insuffisant et ne garantit pas une navigation autonome aux utilisateurs en situation de handicap visuel.
Parmi les 31 non-conformités relevées figurent plusieurs défauts majeurs : images sans descriptions, composants interactifs inutilisables au clavier, mauvaise hiérarchie des contenus… Des obstacles considérés comme une entrave directe au droit fondamental d’accès aux services numériques essentiels.
Depuis 2016, les grandes entreprises sont tenues de rendre leurs services numériques accessibles. En 2023, la transposition de la directive européenne 2019/882, dite Acte européen sur l’accessibilité, a étendu cette obligation à la quasi-totalité des entreprises pour tous leurs produits et services. Elles disposaient d’au moins deux ans pour se mettre en conformité.
Concrètement, sites internet, applications mobiles, services de livraison ou espaces clients doivent être conçus de façon à être utilisables en autonomie, notamment via des lecteurs d’écran ou commandes vocales.
Pour les associations, « le non-respect de la loi est injustifiable », d’autant que les solutions techniques existent et que le délai de mise en conformité était largement suffisant.
Cette procédure judiciaire intervient un an après une victoire importante : en mai 2024, le tribunal administratif de Paris avait condamné l’État pour le manque d’accessibilité de plusieurs outils numériques utilisés dans les établissements scolaires. Une affaire également portée par ApiDV et Intérêt à Agir.
Avec cette nouvelle action, les associations espèrent provoquer une prise de conscience et pousser les entreprises à garantir enfin l’accès égal de tous aux services numériques essentiels du quotidien.
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