Face au déclin de la productivité européenne, Céline Delaugère, fondatrice de My Data Machine, voit dans l’intelligence artificielle un levier stratégique, à condition de l’adopter avec discernement, humanité et ambition collective.
«?Il y a trente ans, la productivité des travailleurs européens rivalisait avec celle des Américains. Aujourd’hui, elle n’en représente plus que 76?%. Ce n’est pas une fatalité?: ce déclin reflète surtout notre retard dans l’adoption de technologies à fort impact comme l’IA. Les idées et les talents existent. Ce qui manque, c’est une façon d’agir cohérente, humaine et ambitieuse?», explique-t-elle.
Pour la cheffe d’entreprise, le constat est clair?: «?Plus de la moitié des grandes entreprises européennes n’ont pas déployé l’IA à grande échelle. Et pour les PME, qui sont pourtant la colonne vertébrale économique du continent, l’écart est encore plus important. Or, ces mêmes entreprises, plus agiles et proches du terrain, sont aussi les mieux placées pour tirer parti de l’IA, si on leur en donne réellement les moyens.?»
La question n’est donc pas de savoir si l’IA doit être adoptée, mais comment. «?Il faut d’abord mettre les données au centre. Une IA n’est jamais meilleure que les données sur lesquelles elle repose. Une donnée mal structurée ou biaisée peut mener à des décisions erronées, coûteuses, voire dangereuses. L’Europe a une carte à jouer, car elle sait encadrer, protéger et valoriser la donnée.?»
Autre point clé?: penser en écosystèmes. «?Un des pièges, c’est de cantonner l’IA à un service ou à un département. Elle déploie tout son potentiel lorsqu’elle irrigue toute la chaîne de valeur. Il faut décloisonner, créer des ponts entre les métiers et les expertises, et faire dialoguer les équipes techniques avec les équipes métiers.?»
Céline Delaugère insiste aussi sur l’accompagnement humain. «?Trop souvent, l’IA est perçue comme une menace pour l’emploi. Ce qu’il faut, c’est former, expliquer, impliquer. Derrière chaque solution technique, il doit y avoir une intention humaine.?»
La diversité constitue également, selon elle, un impératif stratégique?: «?Une IA développée par une équipe homogène est une IA biaisée. Il faut des profils variés, issus de disciplines et cultures différentes. Cette diversité rend les algorithmes plus intelligents, plus justes et plus performants.?»
Sur la régulation, elle appelle à dépasser les clivages?: «?Il faut sortir de l’opposition entre innovation et régulation. La régulation n’est pas l’ennemie?; elle en est le cadre. Mais cela suppose une confiance réciproque entre acteurs publics, entreprises et citoyens.?»
Enfin, l’entrepreneuse défend une vision souveraine et responsable de la technologie. «?Nos systèmes de santé, d’énergie, de défense ou de logistique dépendent de technologies dont les composants critiques nous échappent. Nous devons soutenir les entreprises locales, investir dans des infrastructures partagées et favoriser l’interopérabilité entre pays et secteurs.?»
Bref, Céline Delaugère résume sa vision?: «?L’Europe peut concevoir une IA utile, vivante et résiliente. Une IA capable d’augmenter la productivité sans écraser la créativité. Mais cela demande de la patience, de l’exigence, et surtout des ponts solides entre technologie et réalité du terrain.?»
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